Nightfall in metal earth
Articulé autour d’un concept héroïco-fantastique emprunté aux grands maîtres-étalons du genre (Tolkien, Star Wars entre autres) et empreint d’une atmosphère que j’ai trouvé assez proche, par l’ambiance comme par le thème, du "Abigail" de KING DIAMOND, l’histoire écrite par Laurent Barbarit nous raconte les aventures mystiques de Lord Shades, éminent guerrier mort au champ d’honneur et dont l’âme continue d’errer à travers les landes mornes. Le cycle commencé sur l’album précédent, bien que classique, est très cohérent et la mise en musique colle merveilleusement aux ambiances tantôt tristes, tantôt horrifiques ou carrément apocalyptiques de l’opus.
La citation introductive, extraite du "King Lear" de Shakespeare, nous met directement dans l’ambiance. Je recommande chaudement de suivre les paroles avec la musique. Je ne l’ai fait qu’après de (très) nombreuses écoutes et je dois dire qu’à l’image du "Cybion" de KALISIA, ma vision et mon ressenti sur l’album ont considérablement évolué. Toutefois, le vieil anglais est de rigueur, cela demande une certaine habitude : du haut niveau donc ! (on est loin des basiques "Blood", "Fire", "Death", "Power" et "Sword" chers à MANOWAR).
Alors, le concept est bien ficelé, la langue et la mise en forme érudites, quid de la musique ? Et bien du même niveau pardi ! Depuis leurs débuts, les LORD SHADES ont osé un pari risqué pour un groupe de leur stature, à savoir intégrer de nombreux instruments additionnels et musiciens, tantôt classiques, tantôt traditionnels et de ne pas tout miser sur la programmation symphonique et autres nappes de claviers. Et le pari est plus que réussi. Dès les premières notes de "The Leave Taking", le violoncelle amène sa profondeur organique et permet au morceau d’amorcer une montée en puissance des plus ambiancées. Cette pièce introductive nous met dans le bain et on a affaire à du grandiose. L’entrée de la rythmique permet d’apprécier la qualité de la production puissante et organique que se sont offerts les Français pour ce deuxième opus. Le chant death, assez classique mais très efficace, est utilisé tantôt pour incarner des personnages, tantôt pour faire avancer l’histoire. Son utilisation narrative est à mon avis extrêmement pertinente et permet de sortir du carcan Death Metal plus traditionnel. Le traitement sonore rappelle beaucoup le travail effectué sur la voix de Dani Filth. Les ambiances dépeintes tout au long de la galette sont travaillées dans les moindres détails et les parties narrées sont rehaussées d’effets sonores évoquant à bien des égards le travail de RHAPSODY OF FIRE (sur sa deuxième saga surtout).
Il m’est difficile de détacher un titre en particulier, tant la cohérence d’ensemble est aboutie. À l’image des grands concepts-albums, le disque s’écoute d’une traite et a le symptôme des grands albums : il ne veut pas qu’on le sorte de la platine (et nous non plus d’ailleurs). Il a tourné en boucle pendant deux semaines sans me lasser une seule fois. Toutefois si je devais dégager des moments forts, il y aurait "Awareness" avec son beau solo de guitare et son final plus atmosphérique qui accompagne les paroles de l’Oracle (en Français dans le texte). À l’image d’ANOREXIA NERVOSA, LORD SHADES n’a pas hésité à utiliser la langue de Molière et a surtout trouvé la manière de l’intégrer parfaitement au reste.
L’ambiance glauque qui accompagne "Ancient Fears" et ses cris de guerre, où le chant black vient contrebalancer la rythmique de boucher, est un des sommets de violence de l’album.
Mais ma pièce préférée, si je devais en extraire une seule, serait sans doute "The Pledge", la pièce finale de l’opus, qui gagne face à l’immense "The Leave Taking". Introduit par un riff simple mais d’une incroyable efficacité (on a l’air un peu con à fredonner des tin… tin tin tin tin tin tin tin tacatacatacatacatacataca tin mais c’est vraiment trop bon, j’en ai ressorti la guitare !), la pièce laisse une place privilégiée à l’ensemble Trad qui colore ce morceau sans pour autant verser dans le Folk Metal. LORD SHADES a une très forte personnalité et ces éléments viennent contrebalancer l’ambiance plus apocalyptique de "The Pledge". Le morceau se termine dans un torrent de blast-beats, porté par une épique progression de claviers évoquant le final du "Inno A Satana" d’EMPEROR. Notez qu’il y a pire comme référence, le final de ce morceau représentant ce que j’ai entendu de plus épique et puissant dans le Metal. Et visiblement l’histoire n’est pas finie. Vivement la suite !!!
On ressort de cette expérience complètement soufflé ! Il est incroyable de se dire que le groupe n’a toujours pas été repéré par un gros label ("The Rise Of Medral-Nok" est entièrement autoproduit). La qualité et la dimension de sa musique sont parmi ce qui se fait de mieux en France à l’heure actuelle et je leur souhaite de tout cœur un beau parcours lors de la Metal Battle du Wacken dont ils disputeront bientôt la finale France. Leur personnalité musicale et leur univers bien particulier ont toutes les chances de séduire un public metal en manque d’albums comme celui-ci. Jeff Kanji